C'est comme un fauve invisible.

Elle lui a dit :

"Papé, je t'ai laissé des doudous magiques, je te les donne, tu peux leur parler et leur demander tout ce que tu veux".

Et il les a gardés dans son lit.
56 ans de mariage.
J'imagine assez bien, je crois, ce qu'il aimerait demander à ses doudous magiques.

Hier je me disais que l'absence nous gifle plusieurs fois par jour au visage.
Mais c'est faux, une gifle c'est une blessure de surface, c'est une blessure d'ego, ça ne fait vraiment pas si mal.

C'est plutôt comme une trappe qui s'ouvrirait brutalement à répétition sous nos cœurs.
Ils se décrochent et tombent dedans, et puis un tout petit élastique qu'on n'avait pas vu les rattrape, et ils remontent à peu près à leur place, un peu de travers, jusqu'à la prochaine fois.

Quand on veut l'appeler, lui envoyer un mail, une photo.

Quand on sent son odeur sur son manteau, toujours accroché près de la porte comme s'il allait servir demain.

Quand on lit l'heure à son réveil.

C'est comme un fauve invisible, gigantesque, qui nous barre la poitrine et les tripes.
On sait bien qu'on finira par le dompter, mais pour l'instant il prend toute la place, il rugit dedans et on rugit avec lui, il nous jette à terre sans prévenir et se relève la seconde d'après et on n'a pas d'autre choix que de le suivre.

Il plante ses dents d'un coup là où ça fait mal, il déchire tout et puis non, il laisse tout en place pour avoir de quoi mordre la prochaine fois.

Bientôt, lui aussi il sera un doudou magique à moustache.

Un fauve en mousse avec un sourire cousu dessus.

Bientôt, mais pas tout de suite.

Tout de suite, il est indomptable, et c'est sûrement mieux comme ça.

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